Serrure cuivrée - malle cabine Louis Vuitton

Quand nous avons reçu cette petite malle cabine à toile damier Mark 1 sans prétention nous étions loin de nous imaginer la découverte qui nous attendait. Nous avons vu des milliers de malles Louis Vuitton, restauré des centaines et il est rare de faire une découverte de cette nature.

Cette malle damier date de 1890. C'est une année importante chez Louis Vuitton. A partir de cette date, la fermeture des malles de première qualité est assurée par des serrures "incrochetables", dont le mécanisme est breveté comme indiqué sur les serrures elles-mêmes. Chaque serrure présente un numéro correspondant à sa propre clé. Ce numéro est unique pour chaque malle, à moins qu'un client souhaite ouvrir tous ses bagages avec une seule clé. Les malles de second qualité sont fermées par des serrures en acier laqué noir, sans gravure ni numéro de clé.

Ce modèle de première qualité avait une serrure en acier, mais elle était gravée. Cette information nous intrigua.

En nettoyant les fermoirs en acier, nous avons constaté qu'il y avait  des résidus de couleur rouge comme du cuivre. Nous avons donc procédé au démontage afin de comprendre. L'ensemble des fermoirs et de la serrure était cuivré !

Cette découverte était incroyable !

Nous avions déjà vu dans le passé des serrures en laiton argenté (nickelé), en acier laqué noir, des clous en cuivre massif mais jamais de serrure et fermoirs cuivrés !

Afin d'avoir la confirmation de cette découverte nous avons fait analyser en laboratoire le traitement de surface par le meilleur dans le domaine, Bertin Aubert expert à Paris depuis 1936 en galvanoplastie par électrolyse.

L'analyse consiste à mettre en évidence le substrat et dépôt originel grâce au spectre observé par un appareil de fluorescence X. Cet appareil analyse la matière sans la détruire. Utilisé pour mesurer et identifier une ou plusieurs couches de revêtements dans l'industrie du traitement de surface métallique.

Les résultats ont confirmé qui s'agissait bien d'un cuivrage. Nous avons donc fait re-cuivrer le métal par la Maison Bertin Aubert, afin de retrouver la finition d'origine. 

Le problème du cuivre est qu'il s'oxyde très vite, très très vite, et vu qu'il s'agit d'un revêtement de quelques dixièmes de millimètre, après une vingtaine de nettoyages l'acier réapparaît. C'est pour cette raison qu'il n'existe plus aucune malle avec les fermoirs et serrures en cuivre visible.

Ces malles n'étaient pas "rares" car elles ont été produites sur une courte période juste après le dépôt de brevet de la serrure à gorge en septembre 1889, soit uniquement sur des malles en toile enduite damier. Elles n'étaient pas rares comme le furent les malles en aluminium par exemple. Mais aucune n'est parvenu jusqu'à nous du fait de l'oxydation. Normalement nous ne vernissons pas nos laitons car le laiton massif peut être nettoyé sans dommage. Pour cette restauration nous avons fait une entorse à la règle. Notre souhait est de pouvoir transmettre cet héritage aux générations futures en pérennisant le cuivrage que nous avons fait vernir au four par le sous traitant de Louis Vuitton. En effet les éléments dorés à forte usure comme les boucles et autres accessoires de sac sont vernis au four après avoir été doré à l'or.

Nous avons restauré le mécanisme à gorge de la serrure. C'est la toute première version de serrure à 3 gorges. Celle ci était dans un état incroyable compte tenu de son âge, nous n'avons fait qu'un nettoyage au ultra son.

Nous en avons profité pour tailler une clé ancienne. Il est toujours agréable d'écouter le mécanisme de serrure se fermer et s'ouvrir pour en protéger le contenu.

Cette génération de rivets Louis Vuitton utilisée dans les année 1890 est très spéciale. Le diamètre de la tête en laiton est unique ainsi que l'absence de gravure Louis Vuitton *. La tige quant à elle est comme toujours en acier. Le processus de restauration d'un rivet parait simple, pourtant il est très complexe. Le métal risque la rupture du fait de sa déformation plastique (ductilité du métal). C'est le savoir-faire du chaudronnier. 

Ces étapes sont indispensables pour retrouver toutes les propriétés du métal et obtenir un rivetage parfait. 

Le rivetage ou rivure est le cœur du métier du malletier.

Cette technique d'assemblage et de fixation permanente, largement utilisé au 19 ème siècle; avant l'apparition de la soudure oxyacétylénique, permettait un assemblage très résistant et de faible encombrement. Le rivetage sera également utilisé pour l'assemblage de tôles que la chaleur ne déformait pas contrairement au soudage.

On le trouvait pour l'assemblage :

•  Machine à vapeur
• Chemin de fer
• Grille (portillon)
• Ecluse
• ...

• Charpente métallique

• Ouvrage d'art

• Construction navale :

• Aéronautique :

Il est aujourd'hui toujours considérablement utilisé en aéronautique pour sa légèreté et fiabilité, mais également dans l'industrie automobile car peu coûteux tout en offrant une tension de résistance conséquente. Ce n'est donc pas pour rien que Louis Vuitton a choisi ce mode d'assemblage pour ses malles. On reconnait un parfait rivetage quand la tête n'est pas déformée et qu'elle est parfaitement plaquée à l'élément qu'elle relit.

Il n'y a pas de marque autour de la tête du clou. Le rivetage se fait de manière traditionnelle avec une bouterolle et un marteau rivoir. Le travail est propre et précis.

A l'intérieur tout est conservé, seul les rubans déchirés du capiton sont remplacés à l'identique. Le démontage est fait avec soin car chaque clou de capiton est reposé. Nous sauvegardons un maximum d'éléments d'origine.

129 ans se sont écoulés entre le moment où cette malle est sortie des ateliers Louis Vuitton d'Asnières sur Seine et le moment où nous l'avons restaurée. Nous courons après le temps pour retrouver l'état d'origine des plus belles malles de luxe. Cette restauration a nécessité la combinaison des meilleurs artisans, en chimie pour la galvanoplastie, en malleterie pour le savoir-faire emprunté à la menuiserie, maroquinerie, tapisserie...

Ce fut une restauration incroyable et excitante !

Sauvegarder, protéger, conserver le patrimoine français.